J'avais fait un de ces rêves splendides dont on ne souhaite jamais sortir. Le soleil resplendissait et ses rayons m'appelaient, me conviaient à les poursuivre au bout du monde, et ce pour l'éternité. Mon futur n'avait pas de suite, l'instant était parfait. Je flottais, silhouette claire et imprécise, seulement préoccupée par le soleil qui pouvait m'échapper à tout moment. Les nuages m'entouraient comme de grands lambeaux d'étoffe blanche, laiteuse, tourbillonnante. J'étais idéalement bien dans ma peau. J'avais ce sentiment de bonheur, de bonheur si exquis, mais si éphémère à la fois. Je savais que je devrai me réveiller au matin, pour m'apercevoir que tout cela n'était qu'un songe, que rien n'avait changé, et je devrai à nouveau affronter le froid et la douleur. Et cela sans broncher, sans me plaindre, car désormais j'étais une guerrière. Oui, une guerrière, une chasseresse, une chatte à qui on ne ferait jamais plus la leçon ni la morale. Valse des Bulles. Mon nouveau nom était Valse des Bulles, et j'étais bien déterminée à le porter avec fierté jusqu'à ma mort, et même au-delà.

Le songe stoppa brusquement. Violemment, presque. Je me retrouvai projetée dans la tanière des guerriers, installée sur ma litière de mousse molle et confortable. Mais le froid et la douleur ne vinrent pas. J'étais bien là aussi. Ma vie venait de commencer, et j'étais décidée à l'écrire sans craintes ni doutes.
Le mouvement d'un guerrier proche m'avait projetée hors de mon rêve. Incapable de le faire, je ne lui en voulu pas. Pourquoi amener la morosité dans un monde où elle était déjà trop présente ? Aussi je me relevai avec vivacité et commençai une énergique toilette. Je ne remarquai l'absence de Regard de Braise dans sa litière que lorsque j'eus fini de lisser ma fourrure. Immédiatement, je m'inquiétai, en l'honneur de mon éternel penchant pour la protection d'autrui. Je regardai autour de moi, scrutant les pelages endormis, et repérai le guerrier près de l'entrée du buisson. Cela me fit tout drôle de le voir pour la première fois comme un camarade et un ami. Un ami très précieux. Il m'avait aidée depuis mon arrivée ici, et la sienne avait été aussi dure que la mienne. Je me levai et le rejoignis, évitant de marcher sur la queue des autres félins.

« Bonjour Regard de Braise ! »

Fis-je en lui donnant un affectueux coup de langue sur la joue. Ses yeux brillaient.

« Tu as bien dormi ? »

Le regard du matou roux était significatif : il semblait fier, fier de son ancienne apprentie. Quant à moi, j'étais fière de nous. Nous étions venus ensemble ici, nous avions atterri au cœur d'un fouillis de tradition et de modes de vie que nous avions su recopier puis reproduire. Et maintenant, je savais que je ne pouvais plus vivre sans. A la pensée de Mirabelle, ma sœur si inconnue, mon cœur se serra. Mais pas longtemps : de ce que je me rappelais d'elle, je savais que je n'avais pas à regretter ma disparition. Lui proposer de m'accompagner aurait été une mauvaise idée, elle était faite pour vivre d'une vie douce et confortable. Moi, j'étais faite pour vivre auprès de mes amis, et cela passait avant tout le reste. Or, j'avais trouvé au sein du Clan de la Rivière de véritables compagnons fidèles.

« On peut dire ça, je n'ai pas vraiment beaucoup dormi je me suis levé tôt sans pouvoir me recoucher. Et toi, bien dormi ? »

Me demanda Regard de Braise, tout sourire. Lui aussi, il avait beaucoup changé. Il s'était même métamorphosé. A vrai dire, plus rien en lui ne correspondait au solitaire méfiant et renfermé que j'avais rencontré pas moins de six lunes auparavant. J'étais heureuse de le connaître si bien.

« Oh oui, il faut que je te raconte ! »

M'écriai-je, soudain toute excitée. Des guerriers grommelèrent dans mon dos, aussi je poussai Regard de Braise dehors et me mis à faire de petits bonds autour de lui, éternellement joyeuse d'un rien.

« Hier soir, j'ai fermé les yeux, et d'abord tout a été sombre. Puis, lorsque je les ai rouverts, je me suis rendue compte que je flottais au milieu de bribes de nuage. Le soleil brillait au-dessus de moi, il m'appelait par mon nom, et j'avançais lentement vers lui, entourée de chaleur et... De bulles ! Tu crois que c'est un signe du Clan des Étoiles ? Oh, je suis si excitée ! »