J'errais dans le camp, essayant de paraître occupée au regard de mes camarades en examinant tour à tour les barrières qui entouraient la clairière. Je traversais une passe difficile. J'étais bien seule. Mon unique aide désormais était entièrement incarnée par Nuage de Symphorine, mon apprentie pour laquelle j'éprouvais une tendre affection. Sa présence même m'était reposante.
Ce matin, je m'étais levée aux aurores. La petite chatte dormait encore près de mon antre, au cœur des remèdes. J'avais décidé de me consacrer corps et âme au Clan. J'étais guérisseuse, il était de mon devoir de le montrer et d'en être digne. Les réserves étaient remplies, il ne manquait aucune herbe. J'aurais pu aller chasser, mais j'avais préféré observer tranquillement l'activité matinale des guerriers. Installée au fond du camp, sous un arbre qui m'abritait des pâles rayons de soleil inoffensifs, détailler les apprentis et leurs aînés m'avait fait un bien fou. Vers dix heures du matin, Étoile de l'Ange -notre nouvelle et, je l'espère, digne meneuse- s'était installée elle aussi à l'entrée de sa tanière. De dos, elle ne m'avait pas remarquée. Puis Cœur de Forêt l'avait rejoint et les deux chattes avaient mangé ensemble, comme deux amies. Elles l'étaient sûrement d'ailleurs. Depuis quand n'avais-je pas tranquillement mangé en compagnie d'une femelle proche ? Une éternité.

Je me levai et me dirigeai vers eux, m'attendant presque à les voir détaler. Mais non, elles restèrent bien là, immobiles, continuant de papoter. Ma fourrure tigrée était lustrée et embaumait les herbes médicinales. Cette odeur ne me quittait plus, me collait à la peau. Des fois, elle m'étouffait.

« Bonjour ! »

Fis-je, essayant de me liquéfier en un enthousiasme joyeux.

« Étoile de l'Ange, j'aimerais te parler. »

Je souris à Cœur de Forêt, subitement émue. Cette guerrière incarnait pour moi le temps qui passe. Je l'avais vue plus petite que trois pommes, j'avais veillé sur elle. Elle avait même fait une fugue, et Étoile de Dauphin l'avait retrouvée dans la forêt, non loin du camp. Je me rappelle de la peur que j'avais éprouvé ce jour-là. Puis elle avait grandi, je l'avais vue m'échapper. Autrefois très proche, c'était aujourd'hui une guerrière comme les autres. Avec une vie, des souffrances, des bonheurs, des proches.

Je la regardai s'éloigner, prise par l'envie de la rappeler pour voire une fois encore l'éclat vert de ses yeux qui jadis me fixèrent par l'entrée de la pouponnière. La nuance de ses yeux. Je m'en rappellerai toujours.

« Je t'écoute, Mûre Sauvage. »

La voix d'Étoile de l'Ange me tira de mes souvenirs. Je tournai mon regard vers la chatte blanche et la fixai. Un sourire modifia les traits vaguement chagrinés de mon visage.

« Merci, commençai-je. Tout d'abord, je te souhaite mes félicitations pour ton nouveau rang. Je sais que tu y as accédé il y a déjà quelques temps, mais je n'ai guère eu l'occasion de te parler face à face. Malgré ton jeune âge, je pense que tu feras une bonne meneuse. Ensuite, j'aimerais te parler du lieutenant. Il faut que tu réfléchisses à un éventuel guerrier qui pourrait remplir ce rôle. Comme tu le sais, ta décision doit rester cachée aussi je ne puis t'aider. Et pour finir, sache que si jamais tu as une question, un conseil à demander, ou besoin d'aide, je suis là pour te soutenir. »