La clarté solaire était éblouissante. Chaude aussi. Le temps était très agréable, la température douce et tiède. Les feuillages des arbres se paraient d'orange, d'or et de pourpre, et la couche de feuilles qui tombaient au sol formait un tapis humide et pourrissant. Il avait plu la veille, mais rien ne laissait deviner cette météo maussade. A vrai dire, on se serait cru en plein été. L'ambiance était revigorante. Elle me faisait du bien, elle réchauffait mes os et ma fourrure froids. J'avais l'impression que mes articulations se déverrouillaient, que j'avançais plus librement. Comme si un fluide doré avait pénétré mes membres pour les rajeunir. Je n'étais pas bien vieille. Bien que je n'eus jamais fait attention, je devais avoir dans la trentaine de lunes. Il était drôle de me rappeler mon enfance. Cette époque me paraissait si lointaine, et si étrangère. Comme si il ne s'agissait pas de moi, mais de quelqu'un d'autre. Qu'est-ce que j'avais changé. Mon esprit avait mûri, mes pensées s'étaient modifiées. Oui, c'est un peu comme si j'étais une nouvelle chatte. Une nouvelle guérisseuse, qui plus est.

Si nouvelle que j'avais osé faire la grasse matinée, ce matin. J'allais un peu mieux, en ce moment. Sûrement parce que je le voyais moins. Il m'avait bien eu, sur ce coup-là.
Bref, après m'être levée vers dix heures, j'avais flâné un peu puis j'avais décidé d'aller réviser mes réserves avant l'hiver. Cette journée avait beau être belle, la Saison Morte ne le serait pas. J'avais parcouru la forêt, ébahie par sa beauté. Mes pas m'avaient conduit à la frontière du Clan de la Rivière. Un peu étonnée, je m'immobilisai et m'assis pour regarder l'eau couler, sereine. Sa compagnie m'apaisait. La solitude était la seule compagnie qu'il me restait.
Enfin pas exactement. Sur l'autre berge, un bruit retentit, un craquement. Un chat qui ne cherchait pas à être discret. Je humai l'air, attentive. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine.

« Rayon de Soleil ! »

Le quart de lune approchait. Il se tiendrait dans quelques jours, moins de cinq en tout cas. Je cillai ; peut-être Légende Céleste allait-elle nommer Nuage de Brume ? L'apprentie le méritait amplement, et ce depuis une ou deux lunes au moins. Je ressentis un certain malaise lorsque le visage de Nuage de Symphorine m'apparut. Son amie allait gravir un échelon, alors qu'elle ne le pouvait pas encore... Mais après tout, c'était bien le but de toutes nos connaissances. Elle deviendrait mon auxiliaire lorsqu'elle serait prête, pas avant. Il ne servait à rien de presser les choses. Chez le Clan du Vent, tout se poursuivait tranquillement. Tempête de Sable apprenait à Nuage Mélancolique tout ce qu'elle savait. Et chez le Ciel, il en allait de même pour Abysse Perdue et son apprentie Nuage d'Amour. Tout marchait bien au sein des Clans. La paix régnait, et le différent qui avait autrefois écartelé la forêt commençait à être oublié. Ou du moins passé sous silence...

Rayon de Soleil releva la tête et me chercha des yeux, avant de sourire et de s'asseoir gracieusement.

« Salut Mûre Sauvage. Comment vas-tu ? »

Fit-elle, aimable. J'avais envie de traverser la rivière pour l'approcher, mais je devrais aussi franchir la frontière. Acte que, bien qu'étant guérisseuse, je répugnais à faire. Mon amie paraissait en bonne santé, son corps était ferme et sa fourrure lustrée. Une éternelle lueur joyeuse dansait dans ses yeux. J'avais hâte de lui parler en tête à tête à la Pierre de Lune. Comme à chaque fois que je la croisais, je maudis ces règles stupides qui nous séparaient.
La question, pourtant banale, de Rayon de Soleil coupa momentanément mon entrain. Si seulement elle savait combien j'avais mal. Si seulement je pouvais lui avouer. Lui avouer quoi ? Que j'avais enfreint le Code du Guerrier en tombant sous son charme, et que désormais il s'amusait à me détruire ? Non, certainement pas. Je lui faisais confiance, certes, mais je ne révèlerai à personne cela. Y penser était déjà trop douloureux, alors le déclarer pour affronter les regards mauvais... Bien que tous ses actes soient destinés à me punir, justement, je m'enfonçais dans le vide.

« Oh, très bien. »

Mentis-je. Je fis un nouveau pas vers le cours d'eau. Mon cœur palpitait férocement.

« Nuage de Symphorine apprend à la vitesse de l'éclair. Et Nuage de Jalousie ? »