Caprice du Destin évoluait avec aisance sur le territoire. Il longea le Charnier. Ses effluves désagréables parvinrent à ses narines, mais il les ignora. Le matou était tellement habitué à elles qu'elles n'étaient pour lui qu'un soucis de préoccupation mineur.
Mais, en plus de cela, l'imposant mâle avait divers sujets à réflexion. Une venait en tête : l’ascension au sommet d'Etoile du Feu Follet et la mort d'Etoile Céleste. Cela avait profondément bouleversé le Clan, même si tous paraissaient contents pour la nouvelle meneuse. Elle serait à la hauteur des espérances, c'était un fait indéniable. Etoile Céleste ne se trompait pas sur ces choses là.
Une odeur familière lui parvint. Celle du Clan du Ciel. Il grimaça. Elle paraissait assez forte pour démontrer la présence d'un autre félin. Entre les buissons serrés, le guerrier blanc et brun avisa une fine et svelte chatte, au corps musculeux et à la fourrure crème et noire. Elle paraissait bien jeune... En voyant son corps se raidir, Caprice du Destin comprit qu'elle savait qu'il se trouvait là. Autant ne pas se cacher, alors.
Émergeant de ce coté de la frontière, il s'approcha à pas lents de la limite olfactive. Puis, de sa voix grave et profonde :
- Salutations, grommela-t-il presque, irrité qu'il l'était de s'être fait si facilement repéré.

Caprice du Destin se raidit encore en entendant le ton employé par la guerrière. Rêvait-il ou bien venait-elle de lâcher le mot "Ombre" avec un certain mépris ? En tout cas, son ton était sec. Constat qui aggrava la mauvaise humeur du matou blanc et brun.
Il s'assit et sa queue battit l'air en signe d'agacement. Posant son regard doré qui se teinta de glace sur la jeune femelle, il resta un temps silencieux, essayant de contrôler sa subite envie de franchir la frontière ne serait-ce que pour la provoquer. Mais il ne le devait pas : le Clan de l'Ombre était déjà assez désorienté pour risquer une bataille, et ce à cause d'une simple escarmouche.
- Il est peu prudent de s'éloigner du Camp à cette heure-ci. Des accidents peuvent toujours arriver, lâcha-t-il avec une mielleuse négligence.
Si c'était elle qui attaquait en premier, ce ne serait que légitime défense de défendre son Clan. Mais cette menace évidente pourrait paraître que simple mise en garde.

[ Je dois arrêter, sorry. A demain. <3 ]

Caprice du Destin esquissa un sourire sarcastique en entendant sa première phrase. Elle avait parlé sans réfléchir. Se redressant de toute sa hauteur, le matou posa sur elle un regard méprisant. Elle paraissait toute jeune. La guerrière aurait pu être sa fille. Et le respect, ça existe, non ? pensa-t-il, exaspéré. Son regard resta pourtant de marbre, et ce fut avec une tranquille indifférence qu'il riposta :
- Ce n'était pas une menace. Qu'une simple mise en garde.
Mais l'autre continuait déjà avec une fierté insultante. En comprenant ses paroles, les poils du vétéran se hérissèrent sur son échine. Comment connaissait-elle ces informations ? Jusqu'à maintenant, depuis la mort d'Etoile Céleste, aucune patrouille n'avait été envoyée ici.
L'imposant mâle s'avança vers la chatte du Clan adverse, les yeux réduits à deux fentes menaçantes. Il s'arrêta tout près de la frontière. S'il avançait encore ne serait-ce que d'un pas, une partie de son corps se retrouverait sur le territoire du Clan du Ciel. Résistant à l'envie dévorante de se jeter sur l'insolente, il feula avec colère :
- Comment sais-tu cela ? Mmh ? Le Clan du Ciel espionne le Clan de l'Ombre, maintenant ? insinua-t-il durement.

Caprice du Destin retint un soupir soulagé en entendant sa réponse. Ouf. Elle ne savait pas. Mieux valait que les autres Clans apprennent la nouvelle à la prochaine Assemblée, ne serait-ce que pour que les membres du Clan se ressaisissent.
Cet apaisement ne transparut dans son comportement seulement dans ses épaules qui s’affaissèrent légèrement.
Les insinuations qu'elle cracha ensuite l'étonnèrent et l'exaspérèrent profondément. Mais de quoi parlait-elle ? Pourquoi le Clan de l'Ombre espionnerait-il ce Clan minable ? A moins que la jeune guerrière changeait volontairement de sujet. Moyen qui aurait pu fonctionner, mais le matou n'était pas si bête que ça.

- Et il faudrait naître de la dernière pluie pour ne pas savoir que le Clan du Tonnerre et mon Clan se sont réconciliés... grommela-t-il tout d'abord en levant les yeux au ciel.

Il attendit que ses paroles fassent effet avant de continuer, sarcastique :

- Changement de sujet ? Mmh... Pourquoi pas. Mais cela veut dire que tu ne déments pas ce que j'ai dit...

L'imposant mâle se pencha encore menaçant. Décidément, cette jeune chatte lui étant jusqu'alors inconnue avait le don de l'exaspérer fortement. Cette réponse sibylline le troubla. Mais pourquoi donc ne réfutait-elle pas d'un bloc ses accusations ? Lui, si on avait soupçonné son Clan de faire une chose pareille, aurait démenti sans aucune hésitation, et ce même si c'était vrai... La guerrière avait un raisonnement qui lui échappait.

- J'opte plutôt pour le "si", feula-t-il de plus belle.

A ces mots, il recula imperceptiblement. Si une patrouille adverse le surprenait dans une position ressemblant fortement à un début d'agression, il était cuit. Autant attendre que les siens se soient remis avant de risquer une escarmouche, si petite soit-elle.
Ensuite, il donna un coup de langue à sa fourrure hérissée pour la remettre à sa place, et profita de ces quelques secondes pour se calmer. Le matou se savait assez impulsif pour réagir plus violemment que prévu à une autre provocation...

Caprice du Destin ignora royalement le sourire méprisant de la guerrière, avant de risquer à son tour un rictus narquois en entendant sa remarque. Avait-elle peur ? C'était plus que possible, après tout. Il était sûr et certain que si combat il y avait, ce serait lui qui détiendrait la victoire.
Mais le guerrier dut faire taire ses pensées et afficher un air impénétrable. Il devait tout de même honorer l'idée que les autres Clans avaient d'eux : des félins froids et durs, sans cœur. Jamais le mâle au poil épais n'essaierait de démentir cette version stupide.
Il inclina alors la tête dans un geste d'acceptation ironique et lâcha froidement :

- En effet.

Sur ces simples paroles, le matou fit volte-face et s'enfonça dans le bois, la queue battante. Il s'éloigna sans même se retourner une seule fois, d'une démarche fière et digne, la tête et queue hautes. L'éclat clair de son pelage disparut, avalé par les profondeurs ténébreuses de sa forêt.